Vendredi. C'est aujourd'hui que je réalise l'un des projets qui me tenaient vraiment à coeur en venant ici, en Colombie. Aller rencontrer Sandra Liliana Sanchez, une jeune colombienne de 24 ans qui a mis sur pied la Fundacion Oasis, un centre de jour venant en aide aux enfants et aux personnes âgées du quartier El paraiso de Ciudad Bolivar.
J'avais été très touchée par le récit que faisait cette jeune fille sensible et déterminée dans son livre Les oubliés de Bogota. Lorsque à 7 ans, Sandra et sa famille ont dû s'établir dans le quartier El Paraiso de Ciudad Bolivar, ce fut pour elle un véritable choc. Mais rapidement, elle a remué ciel et terre pour venir en aide aux gens de son voisinage, sensibilisant maire et députés aux besoins de son école, organisant des repas communautaires pour contrer l'isolement et favoriser les échanges entre jeunes et personnes âgées. Et elle a fait tellement plus encore.
Au cours des derniers mois, j'avais communiqué avec elle par Internet, lui demandant s'il était possible de la rencontrer. Je souhaitais découvrir un autre visage de Bogota. Un visage différent de l'opulence qui caractérise le quartier Usaquen où nous résidons. Je voulais apporter ma petite contribution, si minime soit-elle. Je souhaitais enfin que Mathilde et Ana Maria soient en contact avec la réalité de gens extrêmement démunis au plan matériel mais solidaires malgré tout. J'ai donc organisé une petite collecte à l'hôpital où je travaille et j'ai pu ainsi apporter une poche contenant jeux de sociétés et vêtements. Merci, en passant, à ceux et celles qui ont répondu à mon appel.
Ciudad Bolivar, au-delà des préjugés
Situé à l'extrême sud de Bogota, Ciudad Bolivar s'est notamment développé dans les années '80 avec l'arrivée massive de familles fuyant la violence qui sévissait dans les zones rurales du pays. Incapables financièrement de louer un logement dans la capitale, ces nouveaux résidents se sont installés sur un bout de terrain, bricolant une habitation avec ce qu'ils pouvaient dénicher. Difficile de préciser le nombre d'habitants à Ciudad Bolivar puisque plusieurs d'entre eux ne sont tout simplement pas recensés par l'administration publique. On estime néanmoins qu'ils sont de 1 à 2 millions. Alors qu'à New York la densité est de moins de 10 000 habitants par kilomètre carré, elle est de 46 900 dans le quartier le plus peuplé de Ciudad Bolivar!
La plupart des Bogotanais n'y ont jamais mis les pieds. Lorsque avons avons demandé au chauffeur de taxi de nous conduire au Portal Del Tunal (station d'autobus Transmilenio où devait nous rejoindre Sandra), il était étonné, nous disant que rares sont les étrangers à aller dans cette partie de la ville. Il l'était encore plus lorsque nous lui avons dit que nous nous rendions en fait à Ciudad Bolivar.
Le trajet de la pension au Portal Del Tunal a nécessité une bonne quarantaine de minutes. Moderne, l'entrée principal du Portal Del Tunal ressemble à nos stations de métro. Rien d'insécurisant jusqu'à maintenant. C'est lorsque j'ai aperçu au loin les milliers de maisonnettes accrochées à flanc de montagne que j'ai été ébranlée. Quand j'ai lu Les oubliés de Bogota, j'ai bien tenté d'imaginer cet univers très particulier que découvrait avec détresse Sandra du haut de ses sept ans, à son arrivée dans Ciudad Bolivar. Maintenant, c'était là devant mes yeux.
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A l'avant-plan, la station du Transmilenio (transport public) et à l'arrière-plan, Ciudad Bolivar dans les montagnes. |
Sandra est venue nous rejoindre au Portal. J'étais ravie de pouvoir enfin la rencontrer. C'est une jeune femme chaleureuse et ouverte. Tous ensemble, nous avons pris un autobus bondé qui a grimpé, grimpé sur une route sinueuse pour nous conduire à El Paraiso, 30 minutes plus tard. Tout le long du trajet, nous avons discuté, de notre famille, de sa vie à Ciudad Bolivar et de cet indescriptible quartier qui a changé au fil des ans.
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L'autobus qui nous a conduit à El Paraiso |
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Sur la route conduisant à la Fundacion Oasis |
Je m'attendais à mettre les pieds dans un véritable bidonville, puisque c'est souvent ainsi qu'on décrit Ciudad Bolivar. A ma grande surprise, j'ai découvert un quartier extrêmement modeste mais urbanisé, relativement organisé, avec beaucoup de petits commerces, des écoles et même, un hôpital moderne construit tout récemment. Sandra m'a expliqué que El Paraiso et Ciudad Bolivar changent. Parfois pour le mieux, comme avec les nouvelles infrastructures qui s'y sont développés. Aujourd'hui par exemple, la plupart des maisons ont l'électricité et l'eau courante, ce qui n'était pas le cas lorsque Sandra s'y est établie il y a 17 ans. Toutefois on devine que certaines habitations de fortune, construites un peu en retrait, en sont dépourvues.
En contrepartie, le flux continuel de nouveaux arrivants fait en sorte que l'esprit de solidarité qui caractérisait El Paraiso autrefois n'est plus le même. Un certain anonymat s'y est installé. Et puis, Sandra a convenu que la violence existe. En soirée, il peut être téméraire de s'y aventurer.
Quelle animation dans les rues! Partout, de petits commerçants, des gens, des chiens errants... Après être descendus de l'autobus, nous avons encore marché quelques minutes sur une petite rue de terre battue pour enfin arriver à la Fundacion Oasis. Au passage, Sandra s'est arrêtée pour prendre des nouvelles d'une personne âgée, pour adresser un bonjour chaleureux à une jeune femme. Tout le monde semble la connaître ici.
Une fois sur place, Sandra nous a fait faire un tour sommaire de la Fundacion, nous parlant des services et des activités qui y sont offerts. Chaque jour, Oasis sert des déjeuners et des dîners à une cinquantaine d'enfants ainsi qu'à des personnes âgés démunies. Des cours de langue et de musique sont également proposés aux jeunes. Depuis quelques mois, les résidents du quartiers peuvent aussi profiter d'une bibliothèque mise sur pied grâce à la collaboration d'un couple de Français, Marc et Isabelle, que j'ai connus par Internet, et grâce à qui j'ai pu obtenir les coordonnées de Sandra.
Nous avons croisé des femmes travaillant à la cuisine, ainsi qu'un Anglais et un jeune couple d'Américains venus à la Fundacion Oasis pour y faire du bénévolat. Lorsque nous sommes redescendus au 1er étage, plusieurs personnes âgées (les ''anciens'' comme les appelle Sandra) étaient attablés devant un repas chaud. Des gens durement marqués par la vie, c'était visible, mais avec une telle chaleur dans les yeux. Et une sincérité réelle dans chaque poignée de main. Un beau moment.
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Sandra et toute la famille devant la Fundacion Oasis |
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Avec Sandra, quelques bénévoles et quelques anciens qui fréquentent Oasis. |
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Devant la Fundacion, Ana Maria s'est prise d'affection pour un chien. |
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Après notre visite, quelques minutes de marche sont nécessaires pour retourner à l'arrêt d'autobus. |
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En attendant l'autobus qui nous ramènera au Portal Del Tunal, petit moment de contrariété pour Marthin. |
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Dur, dur, le voyage en autobus... |
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Sur le chemin du retour... |
Je tiens à remercier tout particulièrement mon fidèle compagnon de route, Guy, qui a tenu à partager cette aventure un peu folle avec moi bien qu'il se remettait à peine d'un virus plutôt féroce.
A Sandra et aux résidents de
El Paraiso, merci de m'avoir accueillie si chaleureusement. Désormais, vous avez une place dans mon coeur.